On ne va pas dire que c’est une surprise ni que cela relance vraiment le suspense de cette primaire démocrate. Obama a bien fait un grand pas vers la nomination et gagné l'Oregon qui lui était largement promis (avec 57% des voix à l'heure où je vais me coucher). Mais les résultats du Kentucky, et la large victoire d’Hillary Clinton –65% des voix, soit 35 de plus qu’Obama– soulignent quand même à gros trait ce qu’on pourrait appeler le « problème des Appalaches » d’Obama : un gros déficit auprès des électeurs de la classe ouvrière blanche de ces zones enclavés de la Bible Belt passés à côté du boom économique des années 1990. Le Kentucky, vieil Etat rural jeffersonien et dévot, est longtemps resté démocrate avant de passer l’arme à droite en votant pour George W. Bush, et en élisant un gouverneur, des représentants et des sénateurs républicains. Ce n’est donc pas vraiment un swing state, ni un gros Etat, mais plutôt comme la Virginie occidentale il y a une semaine, un concentré des problèmes d’une Amérique, passée à côté du boom économique des années 1990 : déclin de l’industrie du tabac, du charbon ou du whisky (inventé ici, justement), et situation pas folichonne de l’industrie automobile.
Du coup, après avoir remercié le Kentucky pour «cet extraordinaire vote de confiance», Hillary Clinton a lancé : «Je vais continuer à défendre mes arguments, jusqu’à ce que nous ayons un candidat, quelle qu’elle soit.»
Encore plus que la marge d’Hillary Clinton, c’est ce sondage sortie des urnes qui en dit peut-être le plus long : sur dix électeurs ayant voté pour Hillary Clinton, huit disent qu’ils seront mécontents si Obama est le nominé. Seulement 33% de ces électeurs voteront pour Obama (41% se disent prêts à voter pour John McCain et 23% s’abstiendront). Dans l’Oregon, en revanche, le même sondage montre que 68% des supporters de Clinton voteraient pour Obama s’il était le nominé.
Un électeur blanc sur cinq a estimé que la question raciale avait joué un rôle dans son vote, et parmi ces derniers, seulement trois sur dix se disent prêts à voter pour Obama contre McCain.
On peut se demander pourquoi Obama a passé aussi peu de temps dans le Kentucky. Même s’il n’est sans doute jamais bon de s’attarder dans un Etat où la défaite est assurée, il aurait peut-être été utile de s’y attarder sur un mode plus intimiste en vantant par exemple le soutien de John Edwards. Et à défaut de rayer le Kentucky, la Virginie occidentale ou la Pennsylvanie de la carte électorale, il va bien falloir attirer ces électeurs qui ne semblent pas avoir été très impressionnés par les 75000 personnes rassemblées par Barack Obama dimanche dernier à Portland.
Du coup, le pas de deux effectué dans l’Iowa –Obama y allait pour y célébrer formellement sa nomination, avant de se raviser pour seulement annoncer qu’il avait franchi la barre de la majorité des délégués élus pour la convention démocrate– semble un peu bancal. Surtout le soir où Hillary Clinton remporte sa plus large victoire.
Mais là, c'est plutôt novembre et la lutte contre McCain qu'Obama a évoqué, en reprenant avec force et à plusieurs reprises son meilleur thème, "Change is coming to America" : "la partie la plus difficile et la plus importante de notre voyage est devant nous", a-t-il déclaré, en ménageant Hillary Clinton ("en trente-cinq ans, elle n'a jamais renoncé à se battre pour le peuple américain. (…) Nous avons eu nos désaccords mais nous admirons tous son courage, son engagement et sa persévérance. ")
Obama veut passer à autre chose. Mais la guerre psychologique avec Hillary Clinton, elle, va continuer.
Gilles Bouvaist, à New York
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